Fin 2009, Regard a publié un numéro spécial sur les vingt ans de la révolution de décembre 1989. J’avais écrit un texte sur la Roumanie du présent d’alors. En le relisant, je me dis que ce présent d’alors, il y a presque huit ans, est toujours d’actualité, que deux mondes continuent de coexister sans vraiment s’entremêler. Les manifestations et contre-manifestations du début de l’année l’ont bien montré.
Guichet d’un bureau de poste à Bucarest. Muni du petit billet en papier recyclé annonçant qu’une lettre recommandée est arrivée, j’attends mon tour. Derrière la vitre, chemisier bleu à col long et brushing bien en place, l’agente Raluca, sérieuse et consciencieuse, cherche le code correspondant à mon billet sur un grand cahier. Des colonnes de chiffres et de lettres illisibles défilent, Raluca trempe son index dans un petit pot muni d’une éponge humide pour mieux tourner les pages. Trois minutes s’écoulent, elle trouve miraculeusement la ligne affichant le code de ma lettre recommandée. Merci Raluca.
Même jour, café-restaurant dans le centre de la même ville. Musique d’ambiance, décoration appliquée, on pourrait être à Barcelone ou Amsterdam. Les sourires se délient, la langue roumaine se mêle à l’anglais, au français, à l’italien. Le menu propose des plats « internationaux ». La serveuse porte un chemisier noir près du corps, le chignon en bataille, ses gestes sont précis, rapides, il ne faut pas faire attendre le client.
Deux époques radicalement différentes se côtoient ainsi dans le présent. Sans se regarder. Il n’y a pas de lien entre elles, il n’y en a jamais eu. Décembre 1989 a provoqué une cassure dans le temps.
Boulevard Magheru, même jour, même ville. Une femme âgée assise sur le muret longeant une pharmacie regarde les voitures passer. Sans rien demander, enveloppée dans un grand châle gris. L’œil perdu. Un jeune étudiant lui tend un petit billet, ils se touchent presque. Enfin.
Laurent Couderc (Revue Regard nr 43, 15 décembre 2009).